...en plein dedans!
"...Le moteur tourne : il est temps de larguer les amarres, ces liens qui vous retiennent au port, de couper le cordon ombilical et de se lancer dans une nouvelle vie, fondée sur des principes différents que ceux qui prévalent à la terre."
Christophe Houdaille
Les quelques dessins inspirés par les vagues:
Les portraits des 38 membres de l'équipage!
Les photos portraits 38 membres de l'équipage!!!
Le Rara Avis!!!
Le groupe et son énergie!!!
Les îles Canaries
Le Cap Vert
Extraits du Journal de Bord:
31 Décembre
Satisfaite que je suis de mon moment de solitude face au vent, à la nuit, au courant mouvant du large. Ça me va, tout me va. Je retrouve, je raccroche avec cette sensation de bonheur simple, en auto suffisance, avec le sentiment de perfection attenante à toute chose, sans « mais ».
Je me dis que cette année commence bien, qu'elle promet !
Rimes avec 2014 : pose, dépose, repose, pause ; propose, prédispose, explose et implose ; cause tes psychoses ; éradique tes mycoses ; le parfum des roses ; la remise en cause ; jusqu'à l'apothéose, sans sur-dose ; juxtapose, arrose, mais surtout : ose, ose, ose...et retrousse tes manches !
4 Janvier
...des vagues d'émotions, vagues elles-même !
Le voyage au large n'a pas encore commencé, que les dossiers pris à bord sont déjà en traitement sous leur forme la plus grossière, la plus brut, livrée tel quel, sans tri et sans tournure de pensée.
Du soin, de l'exigence, de la douceur, de l'exercice, du souffle...
10 Janvier
Nous sommes donc parti, non sans faux départ, vers le large, dans la nuit, vers 4h du matin, le 9 au final !
L'horizon terrien s'en est allé assez vite, pour nous retrouver en moins de 24h dans le 360° de mes rêves. Plus que de l'eau, l'horizon, le ciel et nous.
J'ai été brassée, comme beaucoup, par les humeurs des vagues. Je pensais réussir à éviter le coup du vomissement, mais non. Après l'euphorie des sensations premières de la coque sur l'eau, bravant la surface avec bruitage, après avoir souri au bonheur d'y être enfin, eh bien, j'ai commencé à me sentir mal, barbouillée, faible et nauséeuse, avec la sale tête qui va avec !
Ma technique : la concentration dans l'immobilisme le plus total. Pas un geste, pas un mot, juste le regard pouvant signifier une quelconque réponse. Je pensais bien qu'avec cette méthode de parage au vomissement, j'éviterai celui-ci...mais non, j'ai baptisé de ma bouche la cuvette des bas fonds. Pas si pire que ça, pour tant de retenue !
S'en est suivi un mal de tête prenant et griseminant ! A laisser passer des pensées du genre : « finalement, le bateau, c'est pas mon truc ! » « je vais peut-être débarquer ? » « c'est quand que ça s'arrête ce mouvement permanent et infernal ? » « j'en ai marre !!! »...Et puis, ça y est, quelques jours ont passé et je me sens « amarinée », comme on dit ici !
C'est fou comme même lorsque le rythme du déplacement est lent, ça va presque encore trop vite. Comme même lorsque l'espace temps se dégage sans activités ou occupations obligatoires, j'ai quand même l'impression de manquer de temps.
Je me dis même que je devrais ne plus rien faire d'autre que de juste apprécier l'expérience, de la vivre pleinement et uniquement dans les actes qu'elle nécessite, me fondre pleinement dans cette vie à bord, en apprendre les gestes spécifiques, le vocabulaire approprié, le regard associé !
...ça y est, le calme, le claquement ponctuel des voiles, la douce mélodie de l'eau chevauchée au ralenti : les secrets de la navigation m'apparaissent peu à peu !
15 Janvier
Le bateau file bon train : tranquille. Un moteur trop présent pour moi ma foi. Déçue de ce trop peu de voile au vent, à se laisser porter par l' élément eau et air seulement. Le ronron du moteur me relie de trop à la mécanique des villes, à la mécanique humaine. Espérons, car nous espérons tous, que les vents à venir seront favorables.
Le temps file donc, avec des jours et des nuits qui passent vite.
...Il y a déjà tant à faire : quelques mots échangés, aider à la cuisine, manger, mettre mon cerveau à contribution sur une page de mots fléchés, tenter de lire un livre, jouer aux cartes, faire sa tâche collective du jour, apprendre une manœuvre de plus, dormir, se reposer, un brin de toilette, un tête à tête avec les vagues, un massage à offrir, un truc à penser....
...cette mer environnante, devenue enveloppante. Ahhh, j'ai bien été brassée par les remouds, les chocs, les agitations de toute part, avec les bruitages ultra intégrés. Tel un séisme de mer, avec des secousses et des tremblements. Oui, un tremblement de mer ! Pas de ceux qui font peur, mais qui peuvent rendre fou !! A pénétrer dans la chair des os, à faire péter les neurones de la tête : je comprends mieux maintenant lorsque Michel Jaouen parle de cette fameuse machine infernale qui se met en route. Une mécanique qui ne cesse que lorsqu'on finit par oublier son ronron. Un voyage qui n'a de cesse d'aller de l'avant en tout cas. Car, sur un bateau, jamais on ne fait marche arrière, toujours on avance ! On ne flotte pas, on file !
Une sensation de voyage toute nouvelle que ce déplacement sans arrêt. Une semaine que le bateau nous porte au-dessus des profondeurs, qu'il trace, presque à vive allure, à l'aide du moteur et du petit vent, et sans une halte, tout au plus un ralentissement. En sachant, en réalisant même, que sur les vagues et dans le vent, l'immobilité n'existe tout simplement pas. La sensation du mouvement est permanente.
Et maintenant que le mal de mer est passé, je me laisse portée avec l'envie que ça dure comme ça, presque indéfiniment. Ah c'est sûr que sur une mer peu agitée, c'est facile à dire, mais puisque je parle maintenant, voici ce qu'il en est.
Je vais aller rejoindre ma place, ma bannette, mon hublot, ma cabine, mon coin,...mon espace, de l'espace oui, besoin d'espace !!
16 Janvier
J'aime me perdre à la surface des vagues. Sentir que c'est elle, cette grande mère, qui prend le dessus, qu'on ne voit plus qu'elle, en premier plan de tout le reste. Lorsqu'elle hypnotise le regard.
19 Janvier
Ici, sur ce voilier de 30 mètres, et les 38 membres à bord, il ne s'agira jamais d'une pareil solitude.
Mais puisque je ne suis pas en mesure, capacité, cran, possibilité, nichon, et que sais-je encore de ce courage et de cette folie toute particulière qui peut amener un individu à s'aventurer seul en pleine mer...sur un radeau !
Non, je ne suis pas de cette trempe là !
J'ai demandé un minimum de confort pour traverser mes peurs.
...d'avoir vu se rapprocher cette « terre terre » à l'horizon, d'en voir apparaître les reliefs et les colorations, d'en frôler quelques contours, j'ai bel et bien compris ma « terriennitude » !
Pas si mécontente d'y poser à nouveau mes pieds, qui la boudaient presque, ennivrée que j'étais de cette vie sur l'eau, tout juste en apprivoisement !
Juste 3 jours d'escale. Pas mécontente non plus de repartir.
Juste peur de retrouver de nouvelles grosses vagues et les chavirements incessants.
22 Janvier
Bientôt 34ans.
Et en voilà un beau contexte de démarrage dans ce nouvel âge. Ce bateau rare est une merveille d'opportunité pour commencer à mettre en application les bonnes résolutions. Cette grande mer un superbe support pour me soutenir et me donner la force adéquate. L'équipe, entraînante ; les voiles, souples et solides ; les mats, fidèles et confiants. Le vent, bon. Toutes les conditions sont réunies pour flotter et avancer.
Je comprends le sens de la surface, contenante. Son importance. Pas comme un vulgaire paillasson avant l'en-dedans, dessous, mais comme l'habillage stylé de nos profondeurs.
« L'Oiseau Rare,
C'est un beau bateau bleu, à la surface de l'eau,
et l'on y vient flotter, l'on y peut valser,
ceux qui vivent là, savent le naviguer.
On s'y retrouve ensemble, pour un bon mois d'aventure,
et l'on s'y amuse bien, on y apprend bien, on y dort bien, et on mange très bien !!!
Quand le Rara Avis s'envoile,
Quand le Rara Avis file,
L'oiseau raaareee... »
25 Janvier
La mer est en ce moment dans un summum de beauté. Elle nous pousse, aidée du vent, droit vers le devant de notre choix. En mer, on va toujours droit devant, en toute franchise, et assurance. Parfois ça glisse, parfois ça traîne, ou bien ça file, mais toujours nous gardons l'assurance flottage. Je ne suis pas très aidante au milieu de tout cela. J'ai choisi plus facilement et tout simplement le cap "contemplation".
...J'apprécie pouvoir être à mon rythme, à mon goût, à mon écoute, plutôt qu'à celle des bouts !
C'est si bon de se sentir portée par ces grandes eaux, volumineuses et voluptueuses. Ça brille argenté; le bleu est toujours là dans une sorte de permanence unique à laquelle on ne fait plus guère attention. Autant de variation de bleu que de moment dans une journée. Les gris et les blancs du ciel s'associant, mais comme restant en second plan, tel un faire valoir. Ils ne voleront pas le bleu vedette ! Même dans ses périodes les plus sombre, la mer n'est jamais noire. Même ses plus profondes profondeurs ne ressemblent pas à de la noirceur. Ce que je crois, sans une once de savoir !
Je vérifie comme l'apprentissage des techniques m'importe si peu. Je préfère tellement observer et sentir: une façon d'éprouver la vie plutôt que de vouloir la comprendre.
1er Février
Entre le mal de terre psychologique et le mal de mer physiologique, il ne reste que très peu de possibilité de lecture ou d'écriture.
Sauf que là, le temps long de la "grande traversée" (15 jours) a commencé, le 30 du mois de Janvier.
Et j'ai bon espoir de m 'amariner de nouveau bientôt. Même ça , ça n'est jamais complètement acquis. Après chaque escale, il faut un temps de réappropriation de de cette permanente instabilité, de cette fatigue régulièrement réanimée par les vents. Le plus aisé reste encore de ressouder avec le groupe, à peine le pied remis à bord, pour tous. Par chance, et donc par choix, je peux prendre ici le temps d'y revenir à mon rythme, de me poser et me reposer à loisir et à volonté. Mon sommeil n'est pas encore des plus « savourable »: les chahuts des vagues m'enquiquinent tant qu'ils ne me bercent pas !
Sur l'eau, les jours semblent ressembler aux nuits, comme si la mer se moquait de ce qui l'entoure, comme si peu lui importait la présence de la lune ou du soleil, comme si jamais elle ne fatiguait.
C'est peut-être cela qui m'épuise : son inépuisabilité.
Qu'est-ce qui pousse le vent à pousser ainsi les vagues ?
Qu'est-ce qui fait la puissance de cet océan en transe ?
Ce n'est tout de même pas qu'une histoire d'immensité ?
Je sais juste comme la lumière fait la beauté, créait l'émerveillement.
Je me suis habituée à ce que le bateau avance inlassablement, imperturbablement, au rythme identique des vagues, dans un même souffle, portés par la même force. Le vent, le vent, le vent.
Je n'aurai pas pensé que cet élément serait aux premières loges de cette aventure, qu'il prendrait presque même la vedette à l'eau. Le ciel, quant à lui, est tertiaire, ce qui est déjà une bonne place à l'échelle de la situation! C'est sûr que c'est un tout, mais un tout avant tout guidé par le vent, car sans lui, clairement, l'aventure en mer s'annule, les vagues disparaissent et les voiles s'affalent.
...Le pas de la solitude: la sensation d'espace de décision, de rythme propre.
4 Février
La mer reste belle en puissance. Le hublot, une chance.
...Et plouf, dans les grandes eaux, dans un des beaux milieux de l'océan:
Maniée d'un gilet de sauvetage et d'un masque, j'ai ridiculement mêlé mon corps à celui de la mer. Emportée plus que portée. Elle nous invite clairement à nous démerder pour rester en sa surface, à lutter en proie à ses courants, impressionnés que nous sommes, parfois perdus entre deux grosses vagues ! Il faut se sentir suffisamment en sécurité..humaine, car la mer et les cieux ne déclarent rien à ce sujet. Alors, aidée, soutenue, encouragée, saluée, entourée, j'ai ri dans ce grand tout, flottant confortablement, ma main tenant ferme le bout à la traîne du Rara Avis, de toute beauté à y prendre un peu de recul. « Quelle belle bête !! » me suis je encore dit. Et comme c'est si fort de vivre cette masse aquatique élémentaire; au-delà du simple vis u : le vécu !
...Un bleu sous marin sublime qui appatte celui qui s'y laisse éprendre. Des particules de vie rendues visible à y voir de plus près. La force du mouvement déterminée de l'eau et surtout le vent du souffle qui l'entraîne.
Ainsi se continue ma série d'apprivoisement des courants et profondeurs obscures des étendues et dérives aquatiques. Il est bien clair que nous sommes étrangers à ce monde maritime. Au mieux, l'Homme sillonne des périmètres à la surface, sonde quelques profondeurs. Il y vit des jours et des mois durant en son sein, heureux d'y être sur ces flots, d'y être matelot! Au mieux, il s'y sent comme chez lui, se pensant appartenir plus à cet élément eau, qu'à cette terre première. Au pire, il y périt.
« Mourir en mer, quelle belle mort ! », je me dis. Une des rares qui me tente un temps soit peu. Si tentait que la mort me surprenne à ce moment là !
7 Février
Aujourd'hui, je suis émue, encore différemment, par cet océan environnant. Je me dis qu'il mérite bien plus d'attention encore. Je me dis surtout régulièrement que ce temps de côtoiement est trop court. Et je pleure ce rapprochement à la terre. Et j'ai envie de crier à la mer qu'elle nous garde un peu plus en son lieu.
Triste et capricieuse, comblée et heureuse. Acceptant et refusant, accueillant en tout cas les houles de mes vagues d'émotions. D'écrire, je me sens retrouver un certain sourire. Je ne peux même pas me concentrer sur la chance pour cultiver le bonheur d'y être, me sachant trop bien dans un culte du choix, et non d'une chance hasardeuse. Choisir. J'ai choisi de venir là, sur le Rara.
… « Le Cap bordel !!! », le mien. Celui qui permet de garder le vent dans les voiles.
Il y aurait aussi l'idée folle de se laisser porter par les vents, sans chercher à tenir ce fichu cap !
Les deux mettant au travail: l'un se devant d'assurer un certain contrôle, et l'autre de rassurer le capital confiance face à l'inconnu. Il faut savoir laisser passer les vagues fracassantes, sans affolement ni garvitude.
Qu'il est si bon de dormir sur le pont. Le top du top !! Les lumières du ciel, les bruitages intimes du dehors, les caresses du vent, et surtout, le chant, la berceuse sans cesse réinventée par l'étrave sur le fil de l'eau. Il ne reste plus qu'à tenter de s'endormir sous tant de beauté, priant le ciel qu'il ne verse aucune larme !
9 Février
Il y a eu l'apparition d'une baleine, de plusieurs même ! C'était au moment où je montais à l'échelle du "nid de pie" pour la première fois. Déjà bien émue de cette nouvelle sensation-dimension de l'espace océanique. Et pof la baleine, et pif son baleineau, et wouahouhou !!! Des figures et des pirouettes, des ventres blanc et rose, et des nageoires, et des ailerons noirs. Des baleines qui font la fête, et qui sautent et qui font péter la surface à en éclabousser le ciel !
Comment ne pas le voir comme un cadeau, dans cet incommensurable espace où la possibilité de croiser un poisson de cette taille, ou plus exactement un cétacé, est bien moindre, petite, faible,..minuscule.
...A bien y regarder profondément dans cet océan, n'y aurait il pas un appel du fond !?
Et ces autres qui rappellent comme des piqûres qui font mal, oh combien le temps en mer se rétréci cruellement. Le sentiment de tristesse débarque souvent alors, car je ne veux pas quitter ce plein océan, ces vagues si monstrueuses et si belles, ce vent qui nous pousse, cette aventure-ci, ce mouvement balançoire...oh oui cette fameuse passion pour les balançoires, est-ce cela ?
Ne pas quitter cette grande mère, ce bateau protecteur et confortable.
Ne pas être ainsi obligée de quitter lorsque j'aime.
« Il y a vraiment le ciel, le soleil, et la mer ! »
10 Février
Mer, belle mer, grande mer, enivre moi de ton mouvement incessant et implacable. Accable moi de remouds que j'en perde la raison. Amène moi plus loin, dans des paysages où seule toi existe, où ton chant proclame la folie. Danse moi profondément. Ne t'arrête pas de suivre tes élans, et de m'en livrer au passage. J'ai peur de te quitter trop longtemps. Je n'ai tout simplement pas envie de décoler de ta surface. Flotter, voler, les ailes de ce navire me font vibrer. Je flotte, dans l'empire du milieu, vingt mille lieu au-dessus de la terre, et un peu plus encore au-dessous des cieux.
12 Février
aïe aïe aïe, ce n'est pas tant qu'il fait déjà trop chaud, c'est que le bateau se rapproche inexorablement de sa destination officielle, et finale. Au diable la Martinique lorsqu'il fait si bon vivre sur l'eau. Ça danse, ça moutonne, ça montagne. Le bleu ici, loin des côte, est d'une telle beauté! Et ça se ressent plus que ça ne se voit.
...je me régale à me sentir libre du haut du nid de pie ! J'y danse et m'y provoque dans ce vide.
« l'essentiel est invisible pour les yeux ; on ne voit bien qu'avec le cœur », voilà les phrases qui me sont revenues ce matin, au soleil levant.
Plus tard, le soir, dans la nuit, sous une lune presque totale. Dernière soirée après toutes ces dernières fois vécues, et évoquées ces derniers jours.
Dans quelques heures, nous arrivons à destination. Mon Dieu je ne veux pas !!! Et bien sûr, c'est quand ça va pour se terminer que les saveurs se font encore plus savourables, que les relations se renforcent.
A la veille de notre arrivée, alors que le soleil allait pour ranger son disque doré, et que la lune prenait peu à peu de clarté, et que j'allais redescendre du nid de pie, après un bon et long temps passé là haut, alors, c'est alors qu'une baleine et son baleineau ont fait une apparition, nous offrant un spectacle d'une grande beauté, nous escortant vers le cap, et jusqu'à la tombée de la nuit !!! Et un dernier saut gigantesque, à 5 mètres du bateau, tel un clin d’œil ! Merci.
15 Février
Entre le jeudi 13 et le samedi 15, il y a eu le vendredi 14, jour officiel de notre arrivée en terre martiniquaise. Très émue bien sûr. Peu dormi, avec l'envie d'étirer le temps d'y être encore, en pleine mer ! Profiter de cette quiétude sans artifices, de cette sorte de silence pleinement océanique, des lumières de la lune, de l'ambiance en passerelle...du nid de pie !
J'ai rêvé que ça ne s'arrête pas, pas encore, pas maintenant.
Mais le jour s'est levé, la terre m'est apparue, comme aux autres, au petit matin. Et je n'ai pas tardé à pleurer, encouragée par l'émotion vive d'une autre passagère. Larmes de déchirement, de sensation d'arrachement à ce qui fut ma respiration pendant ces deux derniers mois. Du refus d'arriver à en tourner le dos à la terre. Un profond vague à l'âme, à m'accrocher aux dernières mélodies de l'étrave dans l'eau.
...Les bruits festifs de la civilisation au loin, les voiles rangées, empaquetées, les présences absentées de la plupart des passagers, partis chacun continuer ailleurs, le bordel de partout à bord.
Le voyage avant tant attendu, est maintenant terminé. Un autre va commencer. Où, comment, quand, je ne sais pas. Il ne va pas s'agir cette fois d'une nouvelle étape, mais d'une autre partie de l'histoire.
18 Février
Et je me retrouve face à cet océan qui me regarde maintenant, et qui me trouble à peine, trop loin de lui je suis. La solitude manque t'elle à ma perméabilité ?
La terre vient de dessous les eaux. Terres immergées, puis recrées en émergence. Au début, y paraît qu'y avait que de l'eau et de l'air, et déjà la vie. Puis...vint la vie sur terre.
L'eau nous rappelle profondément et mystérieusement à nos origines. Dans les fin fonds du mouvement, si naturel au fond, ça m'invite à mon propre mouvement interne, naturel. A mettre du mouvement sur terre. A valser avec la vie, comme les vagues sous la coque. A ne plus oublier ces instants de flottaison, qui m'ont ému et me mue encore aujourd'hui : la mutation.
23 Février
« Celui qui ne sait pas contempler a tôt fait de s'activer, pour ne pas s'ennuyer ».
« Mer, pleure moi dessus, projette tes larmes sur ma face esseulée, donne moi ton charme, parfume moi de ta glue saline. J'ai soif de tes dimensions, j'envie ta surface, je désire te séduire. Enveloppe moi, serre moi dans tes flots, et susurre à chacun de mes os le doux chant de ton origines. »
La solidité, voilà ce sur quoi je reste, voilà le mot résumé du mat de mon baiser. J'ai bien cru qu'il me parlait de dureté, de celle parfois nécessaire, sûrement, mais qui me fait tant violence, la mienne, celle des autres...la mienne !
Et je ne voudrai surtout pas croire que la dureté puisse être une forme de solidité. Je préfère en appeler directement à la solidité. Le socle, mon socle. Le mat, mon axe. L'étrave, mon cap. Le vent, mon allié.
Et ce soir, il me fait tourner la tête vers le large, de là d'où je viens...eh oui ! Mais c'est bien sûr, là d'où je viens, c'est l'eau ; l'eau, l'eau, l'eau et rien que l'eau. En voilà une belle source, une pensée aux ressources inépuisables.
« La pluie c'est la vie », comme disait Michel le capitaine, ce matin.
La pluie, l'eau, les sources, les rivières, les lacs, les mers et les océans, les cours d'eau et les marais ou maraicages, les cascades et les glaciers, les glaces et les neiges gorgées, les puits profonds, les cavernes humides, mon sexe humecté, ma salive non stop, mes yeux brillants, mon sang vivant, ma morve coulante, mes eaux fluidifiantes, mes pertes rouges descendantes...vers la terre, dans la terre, sous la terre,...et à un moment, se retrouve, à nouveau, l'eau.
J'en ai peur, si peur de ne rien pouvoir écrire de fort à ton sujet, chère, si chère traversée, mais ça remonte, ça finit toujours par remonter, à la surface. Des profondeurs à la surface.
Ça n'a pas pu se faire avant. Avant j'étais dedans, plus que je ne le croyais. Je savourai finalement. Je contemplai surtout. Un peu hypnotisée, subjuguée, ou plutôt submergée par cette nouvelle force à l'appel ! Apprentie que je suis dans ces terres d'eau.
Je me perche et me rereperche dans « mon » nid de pie. Au-delà de toutes espérance, si tenté qu'il y en ait eu, j'y ai vécu le trouble d'un bonheur neuf, des sensations de jubilation uniques.
...Mer intransigeante, avec ses forces parfois contraires, ses courants. La puissance de la masse qui soulève, choque et entraîne. La dureté de la vie en mer, celle que j'imagine de pat les récits des solitaires, ou de ceux qui ont par souvent sillonné les océans, et bravé les vents.
« Je ne veux pas partir. Je ne peux pas plus rester ».
La sensation de déchirement me reprend. L'arrachement à ce lieu qui fut mon socle, mon axe, mon cap. Partir, façon autonome, les pieds sur terre, avec le zeste d'essence de cet oiseau rare dans mes narines : le parfum de la solidité, mêlée aux embruns du vent...celui du large, empreint du nectar de l'eau, l'eau du large.
Oui le vent a ses odeurs, et je sais maintenant vers où se tourne ma préférence...le vent du large !
« ...moi aussi je suis portée par le vent qui pousse les océans ! »
Propulsée par mon inspiration souveraine, elle-même soulevée par toute la gratitude d'être là, encore.
Merci.
Merci Vie.
Je continue à m'en aller, à devenir...et à garder, à la surface des profondeurs, le sourire.
A suivre..........
Des bouts de Martinique!
Les ados martiniquais sur le Rara: cession plongée d'une semaine en Guadeloupe!
Laëtitia et son petit voilier: Yaka
Virée sur le voilier de Raphaël: le Martine!
Passage sur un bateau pirate: le Victoria!
Ludo et son bateau haut de gamme!
Mer...
Mer,
puis-je doucement caresser tes ondes,
où je me perds sur le fil en mouvement
de tes horizons.
Mer,
t'agiteras-tu à faire pâlir les tréfonds
de mon âme impure.
Mer,
me laisseras-tu déchirer tes eaux,
où l'écume éphémère disparait sur ton dos.
Mer,
me balanceras-tu la violence de tes flots,
de bas en haut jusqu'à en fissurer tout mes os.
Mer,
seras-tu serviable à en mourir,
de tout ces hommes en péril qui te sont si peu respectables.
Mer,
m'enmèneras-tu sur les vagues fertiles de la jouissance
exorcisant l'antre de ma folie.
Mer,
accoucheras-tu sans ledemain
noyant au plus proifond de tes reins
le viol de ces putains d'homosapiens.
Mer,
me feras-tu voir l'éclat sur ton ventre
les mille reflets du rire des étoiles.
Mer,
me feras-tu entendre l'écho de ceux qui t'habitent
et chantent en ton eau.
Mer,
puis-je me cacher dans tes bras bleutés
rappel des piqûres salées d'instant à oublier.
Mer,
m'offriras -tu les courants du désir
tel un cadeau des cieux à ouvrir...
beau jour mon amour
Thierry Coulon (poète de l'épopée, sur le Rara Avis!)
« Le chant des voiles » de Christophe Houdaille
- « Les étoiles parlent, la mer parle, le vent parle...Et tous, à leur manière, me disent la même chose » (Bernard Moitessier)
- Lorsqu'on aligne les longueurs de piscine en perdant toute notion du temps, ou qu'on accumule les tours de stade sans se soucier de les compter, il arrive un moment où l'on atteint son second souffle. La mécanique corporelle, la belle machine humaine est alors en équilibre parfait.
- A la frontière du voyage et de la mort, se sentir détaché de son avenir est une expression étrange. Celle d'accepter de faire partie d'un tout océanique, d'un milieu et d'un paysage, et d'en subir les conséquences, fusionnant avec les éléments comme des oiseaux qui replient leurs ailes pour étaler la tempête, luttant pour survivre au mauvais temps.
- Voyager en voilier est lent, inconfortable, n'offre aucune garantie sur le moment où l'on touchera au but : en un mot, c'est moyen de transport en déphasage complet avec les standards de notre société.
- Au fil des navigations, la mer révèle l'être aussi bien qu'un miroir, elle le pousse vers ses frontières et lui permet de les reculer. Car la navigation à la voile offre la meilleure possibilité de se mettre à l'épreuve.
- Choisir la vie de marin, c'est choisir la simplicité, la frugalité, et de décider de prendre son temps.
- Embarquer n'est plus une chimère mais une réalité. Sans cesse renouvelé, le grand large s'ouvre devant l'étrave.
- L'océan est là, espace infini qui repousse sans cesse l'horizon. Et dans des conditions idylliques, faible brise et grand soleil, on se prend à rêver d'un départ pour un long périple, pour un voyage sans fin.
- Ce qui fait la beauté unique d'une navigation, c'est que la mer vous appartient. A terre, on est forcément sur la propriété d'un autre.
- ...Mais en mer, où que l'on soit, on est chez soi. L'eau mouvante ne connaît pas de propriétaire. Le vent est à tous, et surtout à ceux qui savent 'utiliser au mieux. L'énergie qui vous fait avancer est gratuite, et insaisissable, et pourtant sans cesse renouvelée, une énergie immédiate et disponible sans limite.
- Car le vent est le seul repère qui ait réellement de l'importance pour un voilier. On dit « le vent tourne »...le vent est le fil directeur, l'énergie, l'âme du voyage. Ou plutôt l'énergie qui anime l'âme.
- La vie reprend lorsqu'une jolie brise se lève, que la mer moutonne, que l'étrave laboure joyeusement la crête des vagues.
- On apprend à s'accorder avec la versatilité du ciel.
- La réalité est que la nuit, le voilier continue sa route au-dessus des abysses, comme en plein jour.
- Cette cathédrale de toile !
- Le sentiment de « découverte » d'un lieu est une affaire personnelle, car, bien sûr, d'autres sont venus avant nous. Il est fini le temps des mers inconnues, des terres jamais parcourues par l'homme. Mais chacun reste libre de tracer son propre sillage.
- La navigation est un purgatoire nécessaire à la libération de l'esprit.
- Le paysage maritime possède cependant un caractère unique... : son mouvement incessant, son perpétuel renouvellement, indéfiniment modelé par le vent.
- Un autre élément essentiel, si évident qu'il est aisé de l'oublier, est la quasi absence de témoignage de l'activité humaine sur l'océan, où toute trace de passage s'efface très rapidement, pour ne laisser qu'un océan semblant vierge et sauvage.
- D'où vient l'espèce d'euphorie qu'on éprouve lors des coups de vent ? Et cette attirance irrésistible autant qu'irrationnelle qui pousse à aller en mer ? Y'a-t'il derrière la vie en mer, la vie dangereuse en mer, une mystique, presque une religion, une forme de réponse aux questions qu'on se pose sur la finitude de la vie ?
- Mais ce dont je suis sûr, c'est qu'il faut parfois se sentir vulnérable pour s'interroger sur la finalité de l'existence, et, partant, sur ce qui vaut d'être vécu.
- Toujours est il que, devant l'horizon, il me prend l'envie irrésistible d'aller voir ce qui se cache derrière, de labourer la mer vivante, de connaître le bonheur plein du pur instant. C'est, sans doute, ce qu'on nomme l'appel du large
- ...Lorsqu'on voyage à terre on laisse une empreinte durable de son voayge. La marque d'un pas peut mettre des années à s'effacer...mais en mer ? A t'on l'occasion de laisser un souvenir dans la mémoire du monde ? La traîne argentée du sillage d'un voilier est si éphémère !
- ...Peut-être justement parce qu'elle laisse peu de traces tangibles, la traversée d'un océan à la voile prend une dimension immatérielle.
(20 Décembre 2013)...en attendant le vent!
"On peut regarder la mer pendant des heures...sa beauté, sa force, son calme, son odeur, son flux et son reflux...On peut s'en éloigner sans crainte car on sait qu'elle est là, que l'on peut revenir, elle sera encore là...
La mer, pour un terrien, c'est un peu le feu dans la cheminée, qui réconforte, qui réchauffe...comme une présence immuable, rassurante.
Et puis un jour, on prend la mer, on se fait marin. Ce jour là on découvre un autre monde, on part au-delà de l'horizon, on oublie la terre et son théâtre permanent.
A terre, on peut mentir, ou fuir.
En mer c'est différent. La vie sur un bateau est un formidable révélateur des véritables personnalités qui se côtoient: dès qu'on ne distingue plus la côte, une machine infernale se met en route où, jour après jour, les qualités mais aussi les défauts de toute cette communauté vont apparaitre!
Très rapidement, les façades s'estompent et ne laissent visibles que les fondations et les armatures des différents personnages que sont les "équipiers".
En mer, on ne peut pas tricher, une seule chose est importante: flotter et avancer!
(extrait du livre "Démerdez vous pour être heureux" de Michel Jaouen, fondateur de cette grande aventure sur voile!
Pour aller sur le site, voir les bateaux et vous informer: http://www.belespoir.com/ )
Nâm est de retour, en ce joyeux jour de Noël!
Spéciale dédicace à la maison de retraite Ker Levenez,
A Marcel et Andrée,
bien aimés grand-parents.
le Rara Avis, sans ses feuilles, à quai, à Brest
Une Maëlle plus bretonne que jamais!
Heureuse pour sûr.
Future matelotte,
de force et de fragilité.
Dans le vent, évidemment.
Dans l'une de ces lumières éclatantes si chères aux paysages d'ici!
Ici, on dit que c'est la mer, mais moi je le dis et le revendique:
"C'est l'océan, le grand océan!!!"